
Vie privée, documents personnels, documents de l’entreprise : quelles preuves recevables ?
La preuve est fondamentale en matière de procédure notamment devant le Conseil de Prud’hommes dans les contentieux liés aux ruptures de contrat de travail et/ou ceux en lien avec du harcèlement moral, sexuel.
Le principe de base en la matière est que toute preuve n’est recevable que si elle a été obtenue de façon loyale. Ce principe explique le rejet des enregistrements à l’insu d’une partie : le salarié ne peut pas utiliser un enregistrement d’entretien fait avec son téléphone portable à l’insu d’une personne en présence (voir article précédent : Enregistrement de conversation téléphonique, SMS : preuves recevables ?).
Réciproquement, l’employeur ne peut pas utiliser des preuves qu’il aurait obtenues par l’intermédiaire d’un dispositif de contrôle clandestin de l’activité des salariés (caméras ou dispositif d’enregistrement caché). Cette preuve est considérée comme illicite (cass. soc. 4 juillet 2012, n°11-30266, BC V n° 208).
Le respect de la vie privée du salarié et de la propriété des documents de l’entreprise sont deux autres limites à connaître en matière de preuve.
Preuve et respect de la vie privée
Une autre restriction en matière de preuve est le droit au respect de la vie privée, principe fondamental de notre droit. Dès lors qu’une atteinte à la vie privée est possible, les plus grandes précautions s’imposent.
Bulletins de paie – Le bulletin de paye contient nécessairement des données personnelles comme l’âge du salarié, sa rémunération, son adresse personnelle, ses références bancaires, etc…. L’employeur ne peut donc les utiliser comme preuve qu’avec l’accord préalable du salarié concerné, sous peine d’être condamné pour atteinte à sa vie privée. Il peut sinon les produire mais en prenant le soin de supprimer les mentions personnelles pour ne conserver que celles utiles au litige (par exemple, la classification) (cass. soc. 7 novembre 2018, n°17-16799 D). Pour le salarié, la production du bulletin de paye d’un collègue n’est possible qu’avec l’accord express de la personne ou sous les mêmes conditions de confidentialité que l’employeur.
Courriels – L’employeur peut s’appuyer sur un courriel du salarié pour, par exemple, établir sa faute, à condition de l’avoir obtenu de façon licite et loyale. Tel n’est pas le cas si l’employeur produit un courriel clairement identifié comme personnel (mention « personnel » dans l’objet du mail ou stockage dans un répertoire identifié comme « personnel »). Dans cette hypothèse, il y a violation du secret des correspondances et de la vie privée du salarié. Tout licenciement ou sanction fondé sur une preuve de ce type se trouverait fortement fragilisé, comme ne reposant pas sur une preuve licite.
La Cour de Cassation a également considéré que des courriels qui n’étaient pas identifiés comme étant personnels mais dont le contenu se révélait relever de la vie privée du salarié ne pouvaient pas non plus être produits dans leur intégralité par l’employeur devant les juges. En l’espèce, il s’agissait de la « correspondance amoureuse du salarié »:
« Mais attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que si l’employeur peut toujours consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser à son encontre dans une procédure judiciaire s’ils s’avèrent relever de sa vie privée ;
Et attendu que la cour d’appel, qui a relevé qu’il était constant que le contenu des courriels produits était d’ordre privé s’agissant de la correspondance amoureuse du salarié, en a justement déduit que sa production intégrale en justice ne pouvait être justifiée par la nécessité pour l’employeur de démontrer la volonté de l’intéressé de démissionner ou la réalité de ses horaires de travail; que le moyen n’est pas fondé » (cass. soc. 18 octobre 2011, n° 10-25706 D).
Il peut être dérogé à ce principe de protection de la vie privée du salarié, sur autorisation d’un juge, lorsqu’il existe un motif légitime (ex : soupçons d’actes de concurrence déloyale) et que cela est nécessaire à la protection des droits de l’employeur. La procédure de consultation et d’enregistrement des courriels est alors conduite par un huissier et en présence du salarié.
Fichiers informatiques – Tous les fichiers professionnels d’un salarié, et non identifiés comme étant personnels, peuvent en principe être utilisés par l’employeur pour engager une procédure disciplinaire (cass. soc. 15 décembre 2009, n° 07-44264, BC V n° 284).
Mais la même réserve que pour les courriels doit être apportée : si l’employeur peut consulter tous les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut pas les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent relever de sa vie privée. En l’espèce, il s’agissait d’échanges assez particuliers entre collègues de travail :
« Mais attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ; que si l’employeur peut toujours consulter les fichiers qui n’ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut les utiliser pour le sanctionner s’ils s’avèrent relever de sa vie privée ;
Et attendu que la cour d’appel, qui a relevé que les messages d’ordre privé échangés par le salarié avec une collègue de l’entreprise étaient pour la plupart à l’initiative de celle-ci, notamment celui contenant en pièce jointe non identifiée des photos érotiques, et que l’intéressé s’était contenté de les conserver dans sa boîte de messagerie sans les enregistrer ni les diffuser, a, nonobstant le motif erroné critiqué par les deux premières branches et répondant ainsi à la recherche prétendument omise, légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé » (cass. soc. 5 juillet 2011, n° 10-17284 D).
Publications sur Facebook – Ici, la distinction s’opère en fonction des options de confidentialité choisies par l’utilisateur du réseau Facebook. Lorsque les propos d’un salarié, diffusé sur son compte Facebook, ne sont accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressé, ils ne peuvent pas servir de preuve à l’employeur. Et ce, même si l’employeur a eu accès à ces propos à partir du téléphone professionnel d’un autre salarié (cass. soc. 20 décembre 2017, n° 16-19609 D). Dans ce cas, les publications doivent être considérées comme relevant de la vie privée du salarié. À l’inverse, si le profil du salarié est public, ses publications pourraient être utilisées, comme ne relevant donc pas de sa vie privée.
Preuve et propriété de documents de l’entreprise
Pour le salarié, en matière de preuve, se pose la question de savoir s’il peut produire tous documents de l’entreprise ou s’il existe des limites ?
Le principe en la matière est que le salarié peut produire en justice tous les documents de l’entreprise dont il a eu connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions (ex. : copie de fichiers informatiques) lorsque cela est strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense (cass. soc. 30 juin 2004, nos 02‑41720 et 02‑41771, BC V n° 187).
L’employeur ne peut donc pas poursuivre un salarié pour vol de documents professionnels si ces deux conditions sont respectées (documents obtenus dans le cadre de ses fonctions et produits pour les nécessités de la défense du salarié). À l’inverse, le salarié se rendrait coupable de vol s’il emportait un nombre de documents important à l’insu de son employeur et sans que cela soit « strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense » dans le litige l’opposant à son employeur. Un tel vol, s’il était établi, pourrait même justifier un licenciement pour faute grave (cass. soc. 8 décembre 2015, n° 14-17759 D).
En cas de contentieux, le salarié doit donc être en mesure d’établir que les documents produits étaient strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense (cass. soc. 31 mars 2015, n° 13-24410, BC V n° 68).
Les délégués du personnel (DP) (ou les élus du comité social et économique) peuvent dans l’exercice de leurs fonctions avoir accès à différents documents comme les documents de décompte du temps de travail (c. trav. article L. 3171-2). La production d’une copie de ces documents est autorisée (cass. soc. 9 novembre 2016, n° 15-10203, BC V n° 209).
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Il faut donc toujours rester vigilant sur ces questions de preuve où tout n’est pas permis, malgré l’importance des enjeux…